Chapitre 3 : Côme

11 septembre 2021 (Six mois plus tôt)

Une douleur lancinante me brûle le cerveau. Inerte, j’essaie de la faire taire  par la pensée, mais en vain. Je tente d’ouvrir les yeux, cependant tout me demande un effort insurmontable, alors je prends mon temps. À plusieurs reprises, j’aperçois des images floues, rien ne m’indique où je suis.

Petit à petit, ma vision revient. Malgré la gêne occasionnée, j’observe mon environnement. Des arbres, de la végétation dense, une sorte de mangrove sans l’eau. Une odeur terreuse envahit mes narines, mélangée à cette chlorophylle agréable. La nature m’entoure, mais je n’arrive pas à m’y sentir bien. Mon corps est enchevêtré sur des branches. Je ne suis qu’un pantin dans ce milieu hostile. Je parviens à m’extraire de ces dernières et bouge mollement. J’arrive cependant à retrouver la terre ferme. À chaque mouvement, les douleurs se font ressentir un peu partout, Quelques coupures sur certaines parties de mon corps me font grimacer. Une main sur ma tête, et je ressens  sous la paume de mes doigts un relief étrange. Je gratte un peu et observe du sang séché. Je me retrouve contre le tronc d’un arbre et je réfléchis. Comment ai-je pu arriver ici ? J’essaie de me remémorer les dernières heures. Sur le coup, rien ne me vient à l’esprit. Je décide de marcher. Une odeur de cramé accapare de plus en plus mes narines. Je m’approche petit à petit de cette émanation, mon nez empli par ce tanin me fait tousser et relance la douleur déjà bien présente. Toujours la main sur la tête pour me calmer, je reprends mon avancée. Quelques feuilles gigantesques et branches m’empêchent de progresser. Je les pousse et chemine lentement, cependant une fumée noire épaisse se matérialise sous mes yeux. Un morceau de carlingue est planté là et a brûlé une partie de la végétation. Visiblement, le feu est éteint. Malgré tout, ce bout de métal est encore chaud. Je le contourne et voit ce qu’il reste d’un avion. Un avion ? Mais oui, bien sûr… J’ai pris un avion et nous nous sommes écrasés. Je m’en souviens. Pris de panique, j’accours auprès de ce qui reste du cockpit. Je m’approche pour essayer de voir si le pilote et le stewart ne s’y trouvent pas. Malheureusement, j’aperçois deux corps calcinés. Quelle horreur ! Cette puanteur est encore pire qu’au début. Le nez bouché, je comprends très vite mon erreur. Car même avec la bouche, cette fumée épaisse pénètre par ma trachée et me brûle les voies respiratoires. Je tousse à m’en plier en deux. Quel imbécile ! Ça en devient corrosif. Je suis obligé de rebrousser chemin en repoussant la végétation tant bien que mal.

― Oh hé ? crié-je tout en plissant les yeux, dans l’espoir que quelqu’un m’entende. Où êtes-vous ?

Je coupe ma respiration et attends qu’un signe me soit donné. Un son ? Une voix ? Mais rien ne vient. En continuant, je découvre un bout de la cabine, puis le suivant. J’approche et pose mes mains sur la carlingue, mes doigts brûlent aussitôt. La température du métal est beaucoup trop élevée.

― Aïe ! Purée, c’est chaud !

Je souffle sur ma paume et mes doigts tout en secouant ma main. La torture est à son apogée. Je gémis tout en me tordant dans tous les sens. Quel con ! Avec du recul, c’est inutile et une perte de temps. Si quelqu’un m’avait fourni le guide de survie en forêt après un crash, ça m’aurait bien rendu service.

Je recule et m’enfonce dans la forêt pour échapper à cette fumée dense qui me fait tousser. Je me pose contre un tronc et analyse la situation.

Je suis dans la merde ! 

Je me souviens avoir survolé la mer, pourtant je n’ai aucun souvenir d’un continent. Je me rappelle du pilote qui nous a dit : “Que dieu vous bénisse.” J’ai bien compris à ce moment là que nos vies allaient être écourtées, puis ce fut le trou noir. Mais où sont mes collègues ?

― Roland ? Sonia ? hurlé-je de nouveau.

Toujours sans réponse. Seule la clarté m’indique qu’il fait jour. Je n’ai plus de repère de temps. Puis, je réfléchis à la situation. Dans l’avion, il y avait mes deux collègues, le pilote et le Stewart. Deux sont déjà morts. Est ce possible que… ? Même par la pensée, je n’ose imaginer que mes collègues aient péri dans l’accident. Je pense à leur famille, s’ils en avaient. Tous doivent être en panique. Idem pour ma famille : Bianca, ma mère. Elles doivent se faire un sang d’encre. Et son anniversaire ? Vais-je rentrer avant ? Je secoue la tête avec cette gêne toujours présente et reviens à la réalité des choses. Pour le moment, je ne vais pas avoir le choix de laisser la carlingue refroidir et vérifier, après coup, ce qui reste à l’intérieur de la cabine.

J’observe les environnements. Des petits cris d’oiseaux m’indiquent que je ne suis pas si perdu que ça. Si les volatiles sont présents, c’est qu’il doit sûrement y avoir de la population non loin, pensé-je dans un premier temps. Ensuite, je me rappelle que tous les oiseaux migrent où bon leur semble. Pas spécialement où vivent les humains. Tant qu’il y a de quoi se reposer et manger, ils ne demandent rien de plus. En attendant que les heures passent, je me déplace dans la forêt en retenant mon chemin. Il ne faudrait pas que je me perde. Malgré les températures caniculaires, il serait bête que je me retrouve loin de tout. Alors je marche… je marche encore et encore. Mon ventre se manifeste. J’ai faim, mais rien ici ne me semble comestible. J’ai bien aperçu des insectes, mais il est impensable que je mange quelques grillons ou pareilles joyeusetés. Rien que d’imaginer le croustillant de l’insecte sous la dent me donne des nausées. Je secoue la tête et retire cette horrible image de mes pensées. Je n’aperçois rien qui pourrait me sustenter. Arrivé au bout de mon chemin, je comprends que je suis sur le haut d’une falaise. Tout son versant est rempli de végétation comme celle sur le plateau et je ne trouve aucune issue pour descendre. Comment y parvenir ? Je verrai plus tard. Pour l’heure, je vois la mer. Bon, cela voudrait dire que je suis sur une île, vu qu’on a quitté l’Afrique. C’est là que je réalise que j’ai une bonne étoile. Quelle était la probabilité pour que nous atterrissions sur terre ? Et encore plus que je sois en vie ? J’ai vraiment de la chance. Malgré mes douleurs et mes vêtements déchirés lors de l’éjection de l’avion, je suis en vie. Dieu merci. J’expire, soulagé et heureux de cette situation. Cependant, je me reprends vite, car je n’ai pas de nouvelles de mes collègues, je n’ai rien à manger et rien pour me couvrir si les températures se rafraîchissent la nuit. La réalité me rattrape, je déchante complètement. Vais-je périr ? Mourir de faim ? À l’heure actuelle, la seule chose qui compte, c’est de retrouver mes collaborateurs. Je décide donc de revenir sur mes pas. Le trajet est long, cela m’occupe et permet à l’avion de refroidir. Quand j’en approche, j’essaie d’entrapercevoir quelque chose, en vain. Au bout d’un moment, je tombe sur un bout de bras de Sonia. Je le reconnais de suite, à sa couleur de peau et son bracelet doré. Un dégoût m’envahit. Ma bile remonte. Je m’arrête de respirer un instant, pensant la contenir. Mes oreilles bourdonnent. Mon estomac se tord. Je me demande si ce que je vois est réel. L’odeur de chair brûlée, mélangée au kérosène, est insoutenable. En vain, je recule de quelques pas, et la sentence tombe. Elle doit être morte à l’heure qu’il est. Dans un dernier cri d’espoir, j’hurle leurs prénoms, mais rien ne me revient. Pas même un écho.

En conséquence, j’erre sans but. Je ne souhaite plus être ici, plus voir cette carcasse d’avion démolie. J’ai peur de ce que je peux retrouver. Dès lors, mon périple commence maintenant…