Les premiers Chapitres de JUSTE NOUS

Prologue – France

Mélodie

Été 2019

Et si l’on partait… en Écosse? Ou non en Italie? Ou plutôt en NouvelleCalédonie? Ou peutêtre le Canada? pensé‑je, en faisant défiler des paysages somptueux sur mon téléphone. Je m’imagine bien avec Xavier dans l’un de ces pays. Des panoramas à couper le souffle, retour à la nature avec de super randonnées. Ah oui, c’est vrai, monsieur n’aime pas la marche. Bon, eh bien, spa avec vue sur les collines, ça peut être sympa aussi. Durant ma pause déjeuner, je me mets à rêvasser. Un impératif d’évasion sans doute. Besoin de fuir notre routine habituelle. Quand je découvre ces ruines de château en Écosse, les gondoles de Venise ou encore les palmiers et cette eau turquoise sur Nouméa, ou bien ces flancs de montagnes enneigées canadiennes… j’ai vraiment envie de partir. Cependant, je regarde l’heure et m’aperçois qu’il me reste à peine quelques minutes pour retourner à mon poste. Les vacances, ça sera pour plus tard.

Une heure après avoir repris le taf, mon estomac se tord. Je ne me sens pas bien. Limite nauséeuse. J’ai dû mal à me concentrer. Malheureusement, je fais partie des personnes chargées de sauver des vies. Mais ma santé empire au fil des minutes. Je sollicite Christophe pour me remplacer. Par chance, nous travaillons toujours en binôme. Il demandera sûrement à des pilotes de rester en état stationnaire le temps que je revienne. Pour ma part, je cours directement aux toilettes pour vider mes lasagnes de ce midi. Probablement un aliment qui est mal passé. Mais toute mon énergie est partie avec mon repas. Assise à même le sol, les yeux fermés, le visage rivé sur le plafond, la tête posée contre le mur, je tente de me ressaisir, de récupérer mon souffle. Cependant, mon côté amorphe reste bel et bien là. Je ne me sens pas du tout en état de reprendre. Pourtant des vies sont en jeu, et c’est cela qui me fait me redresser pour sortir de cet endroit pas très glamour. Je me rince au lavabo pour essayer de me donner une contenance, mais ma figure a viré au blanc. Je rejoins quelques minutes après, Christophe qui gère d’une main de maître nos deux postes. Je m’affale sur ma chaise et il me regarde brièvement. Il fournit les instructions à son interlocuteur puis me dit :

— Ouh là, ça ne va pas du tout, toi ! constate‑t‑il. Tu es toute blanche.

— Je crois qu’il y a un truc qui n’est pas passé, réponds‑je penaude.

— Vois avec Marc si tu peux rentrer. Tu n’es pas en état de continuer.

Marc, notre supérieur, se charge de nous remplacer sitôt qu’il y a une absence. Je me lève mollement et le rejoins à son bureau dans notre grand open space. Il est un chef ferme, mais tout aussi adorable. En lui expliquant mon souci, il m’enjoint de disparaître pour revenir en forme dès le lendemain.

C’est lessivée et vidée que je rentre chez moi. En insérant les clés dans la serrure, je me rends compte que la porte n’est pas verrouillée. Mince, Xavier a dû partir en retard pour avoir oublié de la fermer. Je les jette dans mon vide‑poche et pose mon sac à main sur la console de l’entrée. J’avance fébrilement et j’entends des gémissements. Hein? Je tends l’oreille et je m’approche petit à petit du son. Intriguée, je progresse à pas de loup vers ma chambre d’où émane des bruits de respirations fortes. En poussant la porte doucement, j’aperçois l’incroyable. La pire vision de ma vie. Je vois mon Xavier en train de bourriner le fessier de sa collègue Laury dans mon lit ! Une belle levrette avec cette putain de blondasse et tout ça dans mon pieu ! Mais quelle salope! Et lui, prend son pied à lui enfoncer sa bite dans son trou de balle. Les yeux exorbités par la scène qui se joue devant moi, mon cœur se délite.

Quand mon petit ami m’aperçoit enfin, il continue ses va‑et‑vient tout en se justifiant. Vous allez voir quil va me sortir une excuse bidon!

— Ce n’est pas ce que tu crois, Mélo ! Je…

— Oh, mais c’est vrai qu’Laury et toi êtes en pleine séance de travail. Je ne voudrais surtout pas vous déranger pendant votre réunion.

Il se décolle d’elle et sans aucune pudeur, le sexe fièrement dressé et la capote au bout de sa queue, il s’avance vers moi. Instinctivement, je recule et mets les mains en avant pour me protéger, comme si cela allait me servir.

— Ne me touche pas ! Surtout pas ! Toi et la pouffiasse, vous allez vite décarrer de mon appartement. Sur le champ.

— Mais attend Mélo, je te jure, je n’ai jamais voulu ça.

— Ah oui ? Elle t’a peut‑être violé, l’attaqué‑je verbalement.

Bégayant pour trouver ses mots, il ne sait pas quoi dire. Moi, tout ce que je vois, c’est qu’il me fait toujours face et que sa gaule s’est rétractée. Quant à Laury, elle se revêt, gênée de ne pas avoir pu finir sa séance de sport avec son prof privé. 

— Habille‑toi Xavier et pars, s’il te plait. Je ne te le demanderai pas dix fois, lancé‑je, blasée.

Il soupire, mais ne moufte pas, se retourne et enfile son pantalon. Laury ne dit rien, mais rase les murs pour sortir de chez moi. Elle fait bien ou je la claque contre l’un d’eux. Mon mec, cette ordure plutôt, vous êtes d’accord avec moi, lui, me regarde une dernière fois, mais je baisse la tête. Il me fait honte. Je ne veux plus dire quoi que ce soit, car je sais que je suis sur le point de craquer. Sans même une œillade, ni une excuse, il s’en va.

Je sens la colère monter en moi, et pour oublier le plus vite possible, je me décide à enlever les draps souillés. Je réunis tout le linge de maison que je jette avec énervement dans ma panière. Seulement, ce n’est pas une corbeille qu’il me faudrait, mais un sac de frappe qui pourrait évacuer toute cette rage que j’ai en moi. Cet enfoiré, ce connard même, aurait mérité que je le castre et que je lui fasse bouffer ses couilles devant cette pouffiasse. Merde, jamais je n’ai eu de pensées aussi violentes et pourtant à cet instant, je serais capable de faire un meurtre. Mais ce n’est pas moi, je ne suis pas comme ça et il le savait, il en a profité. Mais quelle conne je suis, d’avoir pu imaginer que ce mec était l’amour de ma vie. Je n’aurais jamais cru que ce genre de cliché m’arriverait à moi, la nana prévisible à des kilomètres. Moi, l’organisatrice et la gestionnaire d’une existence parfaitement ordonnée. Et merde, si ça se trouve c’est pour ces raisons qu’il s’est tapé sa collègue. Le cœur en miettes, je m’effondre sur le bord de mon lit, affalée, laissant mon amour propre en ruine. Je pleure sans jamais pouvoir m’interrompre et avec cette impression que seuls les vestiges de mon cœur subsistent. Quand je relève la tête d’entre mes genoux, mon regard s’arrête sur une photo de nous deux, main dans la main, le sourire aux lèvres. Un sourire, qui avait à cet instant, la saveur de mille promesses et qui, désormais, a un goût amer. Puis, la terrible vérité m’éclate en plein visage, me voilà de nouveau célibataire. Cocue et célibataire. Seulement, vais‑je laisser cet enfoiré me laminer de la sorte ou vais‑je être plus forte que cela ? Lui prouver que je n’ai aucun besoin de sa présence ni de son amour pour être une femme épanouie ?

Prologue – France

Mathilda

16 Février 2011

La porte des toilettes claque, le verrou coulisse et me voilà face à lui, les yeux brillants, l’haleine imbibée de tequila. Il est brun, les iris clairs et le genre de type qui te suffit pour te baiser. Je ne me présente pas, lui non plus. Je veux juste ça… Il s’approche vite puis, à ma portée, ralentit ses gestes. Il m’observe et vérifie dans mon regard que mon consentement est toujours d’actualité, que je n’ai pas changé d’avis. Comme réponse, je lui offre mes lèvres et mon cou qu’il s’empresse de parsemer de baisers avant de conclure.

Le gars ne perd pas de temps, en même temps je ne veux pas qu’il le prenne.

Mathilda, sérieux dans les chiottes! Non, mais attends, cest de la merde là?

Ohhhh ! Putain, mais jamais tu te tais toi, ai‑je envie de crier. Seulement, je ne fais rien, je risquerais de passer pour une dingue, mais cela me suffit à me bloquer et à couper tout désir. Je repousse le type et lui dis :

— Ça t’ennuie si l’on reprend un verre et qu’on fait cela ailleurs ?

— Euh non, comme tu veux, me dit‑il un peu sonné par mon changement soudain. Je t’invite.

— Parfait. Tu habites loin ? demandé‑je en réajustant mon chemisier dans mon jean.

— Je suis à côté, quelques minutes à pied, pourquoi ?

— Comme ça. Je n’aime pas monter en voiture avec des inconnus.

Devant ma réponse incongrue, le gars me dévisage une fois de plus et quitte les toilettes pour rejoindre le comptoir. Je le vois dodeliner de la tête, à mon avis, il doit penser que je suis cinglée, bonne à tirer, mais dingue.

Fêter ses dix‑huit ans en se mettant minable, au point de se retrouver sous la couette avec un type dont le nom ne vous effleure pas l’esprit, c’est déjà arrivé à des centaines de personnes, seulement là, c’est moi cette personne et… je me dégoûte.

Mais pourquoi avoir bu autant dans un pub aussi pourri que celui où j’ai posé mon cul hier soir ? En ouvrant les yeux, l’homme à mes côtés est plutôt pas mal, je dois bien l’avouer, mais, putain il ronfle comme un sonneur et bave en même temps, c’est dégueulasse ! Mais je suis soulagée de voir qu’il s’agit du même qui a failli me prendre dans les W‑C.

Tu n’avais qu’à bien te tenir!

Je me redresse la tête en vrac et j’ai une envie de vomir persistante. Raison pour laquelle je ne bois jamais. Je ne supporte pas l’alcool, ça me rend malade et surtout je fais n’importe quoi. L’avantage, c’est que je ne me rappelle pas qu’il m’ait sautée et ça, c’est plutôt bien. Cela m’évitera de gamberger ensuite. J’observe l’endroit où j’ai atterri, la garçonnière est petite, mais sympathique. Au moins, je ne suis pas tombée sur un type crade qui ne connaît pas le mot balai. Je file jusqu’à la salle de bain et me rhabille rapidement tout en respirant exagérément pour ne pas gerber, puis je récupère mon sac faisant en sorte de ne rien oublier et je me sauve telle une voleuse. De toute façon, je ne pense pas que le beau brun se sentira offusqué ni même déçu, je ne devais être qu’une baise d’un soir, qu’un coup de plus sur une potentielle liste qu’il tiendrait. Ils font tous ça. Les hommes sont des goujats et des porcs par nature, c’est comme ça, mais parfois, lorsque je me sens seule comme la veille, une partie de jambes en l’air vite fait me remonte le moral. Pas d’attache, pas de sentiments, et surtout aucune réitération.Parfois, je me comporte comme une salope, mais se faire du mal ainsi, c’est devenu une façon pour moi de ne pas sombrer, parce que la vie n’est pas toujours sympathique alors je fais avec. Il faut dire que je ne m’aide pas. J’ai décidé de lâcher mes études sur un coup de tête et de me trouver un job, d’ailleurs j’ai rendez‑vous dans quelques heures et ma face fait peur à voir. En regardant l’horloge de mon portable, je constate que mon père m’a appelée une dizaine de fois, mais qu’il n’y a aucune trace de mon frère. Une flèche plantée en plein cœur s’ajoute aux autres. Jamais, je ne lui pardonnerai son absence, jamais ! Rapidement, j’envoie un message à mon paternel pour lui dire que tout roule et que je rentre à la maison. Pas de réponse… c’est que tout va bien… ou pas. Comment ça irait depuis ce jour où tout a basculé ?

Sur le chemin qui me mène jusque chez Elliot, je refais pour la énième fois le bilan de ma vie et j’aimerais revenir onze ans en arrière. Onze putains d’années à souffrir en silence pour ne gêner personne. Désormais, j’ai dix‑huit ans et je dois me prendre en main, seule, pour ne pas changer.

Mais est‑ce qu’un jour, je trouverai ce dont j’ai besoin ? Est‑ce qu’au moins, je sais ce que je cherche  ?

Chapitre 1

France

Mélodie

11 avril 2020

— Air France 1054, vous êtes autorisé à décoller piste 26 droite. Merci de contacter la tour 121.5 après décollage, annoncé‑je à mon interlocuteur via le micro‑casque.

Je le suis de près et m’assure qu’il respecte mes consignes. Quand ma tâche est menée à bien, je laisse Christophe, mon collègue, prendre le relais. Ma journée de boulot est enfin terminée. Je salue tout le monde et retourne au vestiaire, récupérer mes affaires avec une certaine lassitude.

Déjà dix mois que j’ai chopé ce salopard au plumard et depuis, j’ai du mal. Je me sens abattue et désespérée. Ma vie ici reste la même avec son éternelle routine. En voyant tous ces passagers, je m’aperçois que j’ai besoin de recul et de faire le point. Savoir ce que je veux et surtout avec qui ?

Non pas que je ne peux pas m’octroyer quelques jours, mais je me suis consacrée corps et âme à mes études, puis à mon concours pour devenir aiguilleuse du ciel. Désormais, depuis quelques années, je m’épanouis dans mon métier en m’assurant que ces personnes puissent voler en toute sécurité. Mon job consiste à orienter et contrôler la navigation aérienne. Je précise au cas où vous n’auriez pas pigé! Parfois survient une situation complexe, mais je le gère rapidement et avec efficacité pour mener à bien mon travail. Cependant, les allées et venues de ces touristes me donnent le bourdon. Ajoutez à cela, la grisaille de la région parisienne et vous obtiendrez une Mélodie en pleine dépression. Nous sommes en avril et hormis la pluie et les nuages, je peux déjà conclure que le soleil s’est barré à l’autre bout de la planète. Vous me direz: mais Mélo, tu peux bien prendre des congés! Et moi je vous répondrai: que le peu de vacances que jai, je file aider mes proches. Étant fille unique, je privilégie le bien‑être de mes parents. Mon père à la retraite, ma mère travaillant encore à mi‑temps comme infirmière, je leur donne régulièrement des coups de main. Du moins, pendant mes congés. Si ce n’est pas au jardin, c’est pour ranger ou nettoyer chez eux.

Dans mon canapé, affalée, je ne trouve rien d’autre à faire que de zapper chaîne après chaîne. Sur Discovery, je tombe sur un reportage concernant la Nouvelle‑Calédonie. Je m’extasie toujours autant devant ces images qui me font rêver. Sa verdure luxuriante, ses paysages à couper le souffle et ce lagon aux eaux transparentes… Si je pouvais, je partirais dans l’heure et je changerais tout. Mes derniers repos remontent à un mois, enfin si l’on peut appeler ça des congés. J’ai passé la semaine chez mes parents à trier, ranger et astiquer leur grenier. V’là le bazar entassé depuis de nombreuses années. Un nettoyage de printemps comme il se doit. Seulement, ce n’est pas détendue que je suis rentrée, mais exténuée. Quelle idée d’amasser autant de bricoles inutiles? Je vous le demande! Par pitié, ne le faites pas. Pensez à vos enfants! Franchement, ils ont autre chose à foutre que de trier vos merdes! Désolée, je memporte, mais jai besoin dextérioriser ma colère.

Je suis continuellement sur les dents. Tout m’irrite. Le moindre truc m’horripile. Pas plus tard qu’hier, à ma pause déjeuner, je hurlais dans le restaurant d’entreprise, car la ficelle de mon Babybel s’était cassée et je n’ai pas réussi à l’ouvrir correctement. Au point où l’un de mes collaborateurs s’est précipité vers moi, et s’est chargé de le découper, afin que je puisse récupérer mon précieux fromage. Je pleurais presque en voyant la cire rouge collée à mes ongles. L’ingurgitation de celui‑ci m’a laissé un goût amer face à mon désarroi. Je crois que mes collègues me prennent avec des pincettes ces temps‑ci. Pensentils que jai mes règles? Ou pire que je suis enceinte et que ce sont mes hormones qui jouent les ingrates? Aucune idée. Tout ce que je sais, c’est que je me mets en retrait et cause à peu de personnes. Plusieurs ont tenté de venir vers moi, mais l’accueil que je leur réservais malgré moi les a dissuadés.

Les images continuent de défiler sous mes yeux, je les regarde sans les voir. Sans penser, essayant de m’évader. Ne réfléchir à rien. Ne plus rien sentir, à part la brise fraîche du matin, le vent délicat et la chaleur sur ma peau qui se nourrit du soleil. J’ai aussi envie de visiter plein de monuments, de la nature sauvage au building gigantesque. Du dépaysement ! C’est ça qu’il me faut. Ras‑le‑bol de la grisaille parisienne, des abrutis de chauffards, des bouchons permanents et ces râleurs de Français. Et moi, dans tout ça, je fais la girouette ! Oh! putain je remarque que jai un humour de merde. Girouette = contrôleuse de lair Bon, okay je sors!

Zombifiée, j’écoute la voix monotone du speaker. Très soporifique, mais le bleu de l’océan, le vert des arbres et les tons roses et rouges des fleurs diverses me séduisent. Malgré ma lassitude et la fatigue de la journée, je suis à fond dans l’émission. Quand subitement, la bande‑annonce s’enclenche. Fait chier! J’attends le retour du programme, la zappette dans les mains. D’une oreille distraite, un spot de pub attire mon attention.

«Marre de la grisaille? Marre du traintrain quotidien? Besoin de changement? FarTrip vous emmène partout. De la tour de Pise à la végétation luxuriante du Pérou. On soccupe de tout. Choisissez votre formule et partez avec FarTrip»

Je me redresse aussitôt, les yeux écarquillés devant mon écran, car mon cerveau vient de faire tilt et est obnubilé par la promotion de cette agence de voyages. J’écoute jusqu’à la dernière seconde l’annonce et l’adresse du site internet me reste en tête. Il ne me faut pas cent‑sept ans pour réfléchir. Je me lève précipitamment pour récupérer mon ordinateur portable puis me vautre à nouveau dans mon sofa. J’ouvre mon PC et attends avec une excitation non expliquée qu’il veuille bien s’allumer. Évidemment, je trouve qu’il est d’une lenteur… épuisante. Quand enfin je peux cliquer sur le serveur internet, j’entre l’adresse de l’agence de voyages et trépigne d’impatience. C’est avec soulagement que je vois de magnifiques images attirantes de nombreux endroits. Je reconnais New York, Pise, le palais de Buckingham, la Papouasie… Je regarde les diverses formules proposées. Il y a vraiment du choix. Aussi bien, complète clés en main, ou programme à la carte. Personnellement, je suis plutôt de nature organisée. Très structurée. Peut‑être un peu trop, mais je déteste l’improvisation. Rien n’a de place dans un désordre sans nom. Vous commencez à me connaître. Si je dois partir, je préfère que tout soit pris en charge. Je ne laisserai aucune marge d’erreur. J’observe les différentes options et quelques destinations me font de l’œil. Beaucoup trop de choix d’ailleurs. L’Écosse, par exemple. Ce pays m’a toujours fait rêver. Qui n’aimerait pas visiter les highlands, traverser ses collines verdoyantes à contre vent, manger du haggis et boire les meilleures bières et whiskys de cet endroit? Ensuite, l’Italie m’attire également. Participer au carnaval de Venise, faire le tour de la ville en gondole, dévorer des pâtes dans une petite trattoria , et arpenter le Palais des Doges. Le son de la télévision m’interpelle à nouveau. Je lève la tête et retombe sur un reportage sur la ville de Nouméa. Je me découvre amoureuse de l’endroit. Déterminée à partir, je me lance dans de nombreuses recherches et trouve l’Île des Pins, le marché de Nouméa, Lifou. Tout me tente.

La fatigue me gagne et je m’aperçois que cela fait des heures que je suis sur le site à fouiner. Je décide de couper en rejoignant ma chambre pour une nuit réparatrice. L’avenir s’annonce prometteur.

Chapitre 2 – France

Mathilda

15 Décembre 2020

Trois heures et demie du matin et je suis déjà de mauvaise humeur. C’est redondant ces derniers temps tellement mon état de fatigue me pèse. Mon réveil éclate une fois de plus au sol, je me lève d’un pas traînant. Je ne pense qu’à une seule chose pour le moment, mes retrouvailles avec mon lit ce soir vers vingt‑deux heures. Tout en prenant ma douche pour tenter un éveil, je songe à toutes les tâches qui m’attendent au magasin. Avec un peu de chance, mon équipe sera au complet. Trois personnes, ça, c’est une équipe. Abattre le boulot de huit individus à trois, on est plutôt bien niveau optimisation du temps et productivité.

La tête dans mon demi‑litre de café, je navigue sur les réseaux sociaux et je ne sais pas ce que j’ai branlé, mais je n’arrête pas de voir passer des appels aux congés. L’île de la Réunion, la Corse, les USA… Peut‑être en février si le grand patron daigne m’accorder un peu de repos.

Oh non, tu veux des vacances!

Plus que des vacances même, il faudrait que je me tire loin d’ici. Trouver l’amour aussi, pourquoi pas ? Parce qu’entre mon taf où je passe soixante‑dix heures par semaine et mon père qui enchaîne les problèmes de santé, je n’en finis pas. Et puis je pense à mon frangin, parti se la couler douce, certainement dans un pays magnifique. Trop d’appels pour que j’y reste sourde. Quand j’aurai un repos, je vais tenter de me renseigner et trouver quelques idées. Je continue de fouiner rapidement sur le Net et retombe sur cette pub que j’ai déjà vu tourner.

«Marre de la grisaille? Marre du traintrain quotidien? Besoin de changement? FarTrip vous emmène partout. De la tour de Pise à la végétation luxuriante du Pérou. On soccupe de tout. Choisissez votre formule et partez avec FarTrip»

Cela me fait penser à cette Mélodie rencontrée au mois de septembre sur le forum de FarTrip. C’est d’ailleurs en voyant son message que je me suis décidée à poser mes congés payés. L’Italie, c’est un bel endroit et puis Venise a une histoire particulière à mes yeux. Cette nana a plutôt l’air sympathique, très angoissée, mais sympa. Tout naturellement, je me suis proposée pour lui tenir compagnie lorsque je la rejoindrai, enfin si j’y vais…

Oh putain, tu as vu l’heure!

En attendant, le boulot m’appelle. Cinq heures, à mon poste, la journée s’annonce merdique, mon employée ne vient pas, elle est malade. Ce qui signifie ouverture en solitaire, rayon à installer, dates de péremption à chasser et déchargement du camion. Je hais ces moments‑là. Dès son SMS, j’ai pris les devants et appelé le chef de secteur. Il sera là pour huit heures trente juste pour la présence et le café. Mais sinon Mathilda, démerde‑toi toute seule, comme d’habitude.

J’enchaîne sans même avoir le temps d’aller pisser. À la levée du rideau, il y a déjà quelques clients. Toutefois, ce sont les pochtrons du coin qui attendaient désespérément de pouvoir venir acheter leurs deux bières et voler de quoi manger.

Dans quel monde viton?

Je continue de jongler entre la mise en rayon et l’encaissement sans compter les commandes à gérer. Heureusement pas d’autre camion aujourd’hui. Quatorze heures, mon employée de l’après‑midi arrive enfin, munie d’une détermination à faire peur… mais elle est tout de même là.

Alléluia, tu vas pouvoir manger!

Pendant ma pause d’une dizaine de minutes, j’en profite pour avancer mes plannings et m’alimenter en même temps. En constatant que comme d’habitude, la période des vacances va me donner du fil à retordre, je m’arrache les cheveux. Comment faire tourner un magasin de quartier à trois ? Ras le bol de cravacher en flux tendu, marre d’être toujours à tirer sur la corde. Le travail me bouffe et me ronge jusqu’à la moelle, je finis par me demander si un jour je vivrai plutôt que survivre. Je sens s’immiscer une crise d’angoisse à l’idée d’assumer encore une fois l’emploi de dix personnes. J’en reconnais que trop bien les symptômes. Des tremblements, l’accélération du rythme cardiaque, la gorge qui s’enserre et ce mal‑être horrible. La suffocation s’installe et pour me soulager, j’abaisse mes paupières et essaie de contrôler ma respiration. Mais derrière mes yeux fermés, se joue l’apocalypse. Un enchaînement de tâches à faire encore et encore, elles s’amoncellent et se démultiplient pour former un amas de stress. Loin de calmer ma crise, mes neurones s’affolent et l’amplifient.

Ces dernières semaines, elles se sont transformées. De plus en plus violente, je m’enfonce dans les profondeurs de mon être. J’ai commencé cette pathologie il y a une dizaine d’années. J’étais tellement angoissée la veille d’un examen que j’en ai perdu toutes mes capacités et je me suis retrouvé le cul au sol sans avoir le temps de dire « ouf ». À force d’enchaîner les crises, j’ai fini par consulter. Le verdict est tombé. Diagnostiquée spasmophile, je dois éviter toutes sources d’anxiété. Comment expliquer à mon médecin que le stress fait partie de moi et qu’il me nourrit, qu’il me maintient debout ? J’en ai chié pour en arriver là. Être chef de magasin à vingt‑six ans, sans étude, ce n’est pas donné à tout le monde, c’est dire ma détermination à avoir ce que je veux. Seulement, mon âge ne m’aide pas, car j’ai l’impression de devoir justifier ma légitimité à ce poste. Alors je ne compte pas les heures ni l’investissement personnel, encore moins les kilos perdus et la quantité de cachets ingurgitée pour différentes pathologies. Mais c’est ma vie, je l’ai choisie. Je souhaitais avoir des responsabilités, je voulais gérer et voilà ce que ça donne. Une nana incapable de contrôler une putain de crise de spasmophilie.

Lorsque mon chef repasse dans le bureau, je respire difficilement, plus que d’accoutumée. Je lui jette un regard sans équivoque. Il a compris, ce n’est pas la première fois qu’il me voit dans cet état‑là. Il m’aide à m’asseoir au sol et patiente. Le malaise évolue et se transforme en crise de tétanie. Je ne parviens plus à inhaler. Dans l’engrenage de ma descente aux enfers, j’emmène mes forces, et l’air qui me maintient en vie. Je me perds dans les abîmes du désespoir d’où j’ai l’impression que je ne reviendrai plus. La sensation que tout est fini m’enrôle et s’insinue tel un poison. Désormais, je ne respire plus que par intermittence et dans ma demi‑conscience, je constate que mon chef est devenu blanc comme un linge. Un instant, mes paupières se lèvent fébrilement quand on me force à inhaler dans un masque, les pompiers sont là. Dans un état catatonique, je perds pied et lâche complètement prise.

À mon réveil, mon père est à mon chevet. Au service des urgences, je regarde autour de moi et remarque à quel point les gens vont et viennent avec une rapidité à me donner le tournis et la nausée. Combien de personnes sont‑elles là dû à leur travail ? Combien pètent un câble ou reçoivent un signal d’alarme de leur corps ?

— Tu ne peux plus continuer comme ça, ma chérie. À ton âge… être dans cet état, ce n’est pas possible, s’inquiète mon père.

— Papa, c’est ma vie, c’est mon job, c’est juste que j’ai lâché prise quelques instants et voilà ce que ça donne…

— Écoute, ce boulot, ce n’est pas ce dont tu as besoin, me coupe Elliot le regard triste. Sérieusement, ma chérie. Le hard discount c’est de l’esclavagisme. Tu devrais le quitter et te trouver autre chose de plus gratifiant, voyager, voir du monde, sortir, rencontrer quelqu’un. En bref, vis ma puce. La vie est trop courte pour la gâcher de la sorte. Regarde ton frère, il profite tout en travaillant, il semble épanoui. Fais comme lui, évade‑toi et savoure ce que le destin te donne.

— Et toi papa ? Qui va s’occuper de toi quand je ne serai plus là ? Je n’en ai pas le droit et tu le sais. Depuis que maman est partie, je me suis toujours refusée à t’abandonner à mon tour. Ce n’est pas parce que j’ai une baisse de régime que cela va changer, dis‑je en essayant de me redresser.

— Reste allongée, veux‑tu ? Le médecin t’a imposé quinze jours d’arrêt maladie.

— Mais… non, c’est impossible papa, je ne peux pas, le magasin qui va…

— Tutut ! Je ne désire rien entendre, j’ai une proposition à te faire, seulement es‑tu prête à l’écouter ?

— Tout ce que tu veux. Tu sais que je ne peux rien refuser à mon vieux père.

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